The Cobalt Weekly

#73: Fiction by Michèle Gagnon

SINKING

At the very beginning, a few incoherences, everyday objects disappearing and suddenly reappearing in unusual places: keys in the fridge, a bag of lemons on the laundry room shelf, hat and scarf in the oven. Then, words failing us to the point that we withdraw ourselves from any conversation, faces fading, friends and relatives becoming strangers; places being transformed; a unknown world invading us. Even at home, we want to go home.

We’re doing all we can to find her. The authorities have already been notified, and they’ve taken appropriate action, ladies…

Every day, events envelop us in total darkness. Our souls lose track and carry us back to the past. Our memories desert us without warning and come back as suddenly as they left. As we get ready to brush our teeth, we do not recognize the object we hold. As we prepare a meal, we are puzzled by all the items in front of us. Then, just as suddenly, reality resurfaces. On its return, we are assaulted with despair, like a direct blow to the plexus.

Ladies, you know her well. Perhaps you can give us some clues, a direction to focus our search. Is there a place that she enjoyed, one she would have talked a lot about? A place where she has childhood memories?

To move forward like a thick fog hangs without recognizing anything around us. To be in a present that already doesn’t exist and to try to find something you can grab onto. 

I do not want that slow agony.

She would often tell us about childhood summers at their cottage. Lately, she would talk nonstop about these unforgettable vacations, so much so that we would say, “Stop, these good old times are making our heads spin.” But it is too far. She couldn’t walk there. The cottage was on the shore of Lake Champlain, in Baie Missisquoi.

I have walked, walked aimlessly, and my steps took me to the lake. Ah, so good here. Already, these beautiful red spots in the trees foreshadow a great autumn. When I reach the beach, I take off my shoes. My feet sink in the wet sand, leaving prints, quickly erased by the water that caresses the shore. I want to remain lucid to the end, to keep full consciousness as I live out my destiny.

We need to inform the police quickly so they can intensify their search in that area.

I look at the horizon, where the water touches the sky, and very slowly I walk into the icy lake. At that precise moment, I think of Virginia Woolf, but unlike her, my pockets aren’t filled with rocks; I glide slowly on my back and let the water carry me. The cold grasps my flesh and I shiver.  Eyes wide-open, this is the last image I want to remember, the dark blue of the sky in all its immensity. I close my eyes so I can seal it in my brain.

I know you’re very worried, ladies, but I have no idea how and when she could have disappeared. Let’s concentrate on finding her now. We’ll have plenty of time later to…

Floating. Water, my element. Eyes close, creating absence. Everything disappearing. I open my eyes, head and body submerged, only my face is still at the surface. All I need is to close my eyes again, once more, and nothing else will exist. Do I still exist? My eyes close again and I enter obscurity and silence. Memory fades away but a powerful sensation of weightlessness overcomes me. To be conscious of existing without the limits of a body. For the last time, I open then close my eyes, and bubbles escape my nostrils. Darkness swallows and I slip into nothingness.

English translation by Lucie Gagnon

***

SOMBRER DANS LE NÉANT

Au début, au tout début, quelques incohérences, des objets du quotidien qui disparaissent et ressurgissent soudainement en des endroits des plus inhabituels : des clés dans le frigo, un sac de citrons sur une tablette de la lingerie, chapeau et foulard dans le four;  des mots nous échappent au point où l’on se retire des conversations;  les visages s’effacent, parents et amis deviennent des étrangers;  les lieux se transforment et nous deviennent inconnus, même chez soi on veut rentrer à la maison.

«Tout a été mis en oeuvre pour la retrouver.  Les autorités, déjà avisées, ont immédiatement pris les mesures qui s’imposent.  Mesdames…..»

Chaque jour, les événements nous précipitent dans une totale noirceur.  Notre esprit s’éparpille et nous ramène des années en arrière.  La mémoire nous abandonne sans crier gare pour revenir aussi soudainement :  on s’apprête à se brosser les dents et tout à coup, on ne sait plus que faire de cette brosse dans notre main;  en préparant notre repas, subitement, on reste perplexe devant tous les items étalés devant nous;  puis tout aussi soudainement la réalité ressurgit.  C’est lors de son retour que la détresse nous assaille  comme un coup de poing au plexus.

«Mesdames, vous qui la connaissez bien, peut-être pourriez-vous nous donner quelques indices; une piste pour orienter les recherches.  Un endroit que votre mère semblait privilégier, dont elle parlait souvent.  Des souvenirs d’enfance…..»

Avancer dans une brume épaisse sans rien reconnaître autour de soi; se retrouver dans un présent qui n’existe déjà plus et chercher autour de soi à quoi se raccrocher.  Je ne veux plus de cette lente agonie.

«Elle nous racontait souvent les étés de son enfance passés chaque année au chalet.  Ces derniers temps, elle parlait sans cesse de ces inoubliables vacances, tellement que parfois nous lui disions:  «Arrêtes, tu nous soûles avec ton bon vieux temps.»  Mais, c’est beaucoup trop loin, elle ne pourrait pas s’y rendre toute seule.  Le chalet était tout au bord du lac Champlain, à Baie Missisquoi plus précisément.»

J’ai marché, marché au hasard et mes pas m’ont conduit jusqu’au lac.  Ah, que je m’y sens bien.  Déjà les belles taches rouges dans les arbres nous présagent un bel automne.  Aussitôt sur la plage, j’enlève mes souliers, à chaque pas, mes pieds s’enfoncent dans le sable mouillé pour y laisser des empreintes, vite effacées par l’eau qui vient lécher le rivage.  Je veux rester lucide jusqu’à la fin; garder ma pleine conscience, m’assurer d’accomplir mon destin.

«Il faut rapidement en informer la police pour intensifier les recherches dans cette direction.»

Je regarde au loin, j’avance très lentement dans le lac.  A ce moment précis, je pense à Virginia Woolf, mais contrairement à elle, je n’ai pas rempli mes poches de cailloux;  je me glisse tout doucement sur le dos et me laisse porter;  l’eau glacée me sillonne le corps de grand frissons.  Les yeux grands ouverts, c’est la dernière image que je veux garder, le bleu profond du ciel, son immensité.  Fermer les yeux pour emprisonner  cette image.

«Je sais que vous êtes très inquiètes mais pour l’instant je ne peux vous expliquer comment ni quand elle a pu échapper à notre surveillance;  concentrons plutôt nos efforts pour la retrouver.  Il sera toujours temps plus tard….»

Je flotte, l’eau mon élément.  Fermer les yeux, créer l’absence.  Tout disparait.  J’ouvre les yeux, tête et corps immergés, seul le visage encore en surface, il suffit simplement de fermer les yeux et plus rien n’existe.  Et moi, est-ce que j’existe encore?  Je me laisse couler, un silence profond m’envahit.  Pour une dernière fois, j’ouvre les yeux, des bulles s’évadent de mes narines, tout devient noir.  Le néant m’engloutit.

***

Michèle Gagnon is an inveterate reader who prefers writing with pen and paper. A lover of Russian literature, she lives in Montreal with her dog, Adele, her cat, Balthazar and her plants, too numerous to name.